céuse Souvenirs

Jour de grève

Salut les amis !
Est ce l'effet du confinement, du manque d'activités, de la fin des rencontres quotidiennes avec les amis, la famille, les connaissances ? Possible ! mais le besoin de revivre, en souvenir, le passé plus ou moins lointain, est un passe-temps pas toujours désagréable.
L'initiative d'Alain, relayée par Michel, me donne envie de vous raconter un évènement qui avait marqué au cours de l'année 1960 tous les bahutiens de l'époque. C'est l'épisode de la première grève de la faim au bahut.
Cette année- là, le Proto s'appelait Voisin et sa rigueur, la discipline de fer qu'il imposait à tous, son intransigeance, correspondaient à son physique impressionnant, haute stature et cheveux blancs plaqués laissant une large place à un visage sur lequel tout sourire était absent !
À plusieurs reprises, pendant plusieurs semaines, les plus "grands ", les plus courageux avaient fait part aux pions, puis au surgé, de problèmes sur la qualité et sur la quantité des aliments qui nous étaient servis. Rien n'y faisait ! Aucune amélioration n'était constatée. Quand un jour, à midi, un mot d'ordre s'est propagé de table en table : "On ne mange pas. ON FAIT LA GREVE DE LA FAIM !"
Une grande première au bahut ! Le mot d'ordre avait été lancé par un normalien de terminale nommé Richand originaire, me semble-t-il, de Laragne. Il était évident que ne pas l'appliquer, malgré la faim qui nous tenaillait, aurait été risqué !
Nous avons donc quitté le réfectoire au bout d'un moment, sous le sourire discret et même complice des pions de service. L'affaire a fait grand bruit dans l'après- midi, les externes mis au courant se proposant spontanément d'apporter aux internes de quoi survivre. Ce qui fut fait dès le lendemain, car la grève avait été annoncée comme illimitée.
Et la grève a continué ! L'administration, folle de rage, se rendant compte que les internes étaient en mesure de tenir un certain temps grâce aux externes, a décidé de filtrer les entrées et de fouiller les externes. Ce travail incombait au Pip et à la Pipette sous l'autorité de quelques pions acquis à la cause des grévistes. L'astuce consistait à planquer les sandwichs, fabriqués par le père André du café du lycée, dans la partie avant de son pantalon, là où la Pipette aurait des problèmes pour effectuer la palpation que le Pip, lui, réalisait avec zèle ! L'astuce consistant à faire passer devant elle ceux qui avaient la marchandise.
Ainsi on est arrivé au 4ème jour. Tout Gap était au parfum. Des interventions politiques ou académiques ont-elles eu lieu ? On ne l'a jamais su.
Au soir du 4ème jour qui était le jeudi, on a vu débouler le proto Voisin dans le réf. Là aussi une grande première ! Il a demandé à ce que lui soit apporté le repas prévu ce soir-là. C'était du hachis parmentier (comme rien ne devait se perdre il avait été réalisé avec ce que nous n'avions pas mangé les jours précédents !) et là, très digne, il a enfoncé deux doigts dans le hachis et après les avoir sucés, a eu cette phrase restée dans toutes les mémoires des présents : "Excellent, chef ce hachis, je ne comprends pas pourquoi ils n'en veulent pas." Il est vrai que, ce jour-là, il n'y avait pas de cafards dans le hachis, comme ceux qu'on avait trouvés quelques jours plus tôt dans la purée, ce qui avait été aussi un des motifs du déclenchement de la grève.
Le conseil de discipline s'est réuni le lendemain vendredi dans la matinée. La sanction a été prise à l'unanimité moins une voix (celle de Paul Givaudan , il me l'a dit beaucoup plus tard). Elle fut immédiate et sans appel. Richand était viré du bahut qu'il devait quitter immédiatement ! Ce qu'il fit, après avoir rassemblé ses affaires au milieu d'une haie d'honneur formée par tous les élèves, depuis l'étude du Mams jusqu'en haut des escaliers de la sortie.
Le lundi, la grève s'est arrêtée ! Qu'avions nous obtenu ? Pas grand chose ! Si ! À 4 heures, pour le goûter, on aurait désormais le droit de repasser prendre une deuxième tranche de pain ! Mais pas une deuxième barre de chocolat Cémoi ! De mémoire d'anciens c'était la première "révolte" organisée au sein du bahut.
Allait-elle en appeler d'autres ? Il faudra paraît-il attendre 8 ans, un certain mois de mai ! Mais ça, c'est d'autres qui peut-être, vous le raconteront.
Amitiés à tous.
Christian Séard
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